C'est au début de l'année 2016 que Monique, l'épouse de notre bon camarade André, nous fait parvenir l'article publié ci-dessous.
Qui connaissait suffisamment André pour discerner, sous sa discrétion, sa gentillesse, ses immenses qualités humaines ?
Aurevoir André. Tu nous manques déjà...
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Aurevoir André. Tu nous manques déjà...
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ANDRE GUILLAIN
7 décembre1940 – 3
décembre 2015
Son épouse Monique
Richard-Guillain et ses amis, Christian Cavaillé qui fut élève avec lui à l’ENS
de Saint-Cloud, René Pry qui fut son collègue à l’Université III de Montpellier
nous ont fait parvenir sa biographie.
André Guillain naît dans une famille d’ouvriers des
Ardennes. Il passe son enfance et son
adolescence à Charleville, la ville de Rimbaud, « l’homme aux semelles de
vent ». Après être entré à l’Ecole Normale d’instituteurs de Charleville,
il bénéficie d’une bourse d’études pour suivre à Paris au lycée Henri IV une classe Préparatoire qui lui
permet d’intégrer l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud. André n’a pas
oublié ses origines, chaque année il aimait retrouver à Charleville ses anciens camarades normaliens, pourtant
quittés assez tôt, lors de repas conviviaux suivis de visites d’ardoisières, de
telle petite entreprise de charcuterie ardennaise, de musées régionaux…
A l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, il suit avec
Christian Cavaillé les cours de
philosophie de Jean-Toussaint Desanti, d’Alexis Philonenko et de Martial Guéroult qui ont
marqué son esprit. Il passe l’agrégation
en 1966
en même temps que Christian qui apprécie sa franchise et sa manière
sobre et réfléchie d’intervenir dans les discussions. Christian est resté son
ami et tous deux se sont à nouveau fréquemment rencontrés pour discuter interminablement des problèmes théoriques et expérimentaux en
psychologie, des manières d’observer et d’étudier les jeux enfantins, des
questions de la représentation et de la fiction et surtout de leurs auteurs de
prédilection : Canguilhem, Deleuze, Foucault …
André se marie avec Monique Richard en 1962. De ce mariage
naît une fille Carole, qui traduira en
anglais ses résumés d’articles. Il était très fier de sa petite-fille et de son petit-fils, brillants
élèves tous deux.
Toute sa carrière universitaire, de 1968 à 2000 , il la
fera en Psychologie du développement à l’Université Montpellier III – Paul Valéry en gravissant les
échelons classiques. Le titre de professeur émérite lui a été attribué en 2001.
En 1985 sous la direction de François Dagognet, il soutient sa Thèse, très
imprégnée des enjeux de pouvoirs-savoirs
chers à Michel Foucault, sous le titre « Les enjeux de la genèse. La
psychologie du développement et le gouvernement des hommes ».
André est entré en psychologie pour le plaisir de penser et
de faire penser en gardant de la philosophie l’esprit de rigueur, l’amour du
raisonnement débarrassé de ses scories d’irrationalité. Penser c’est réfléchir
avec d’autres, c’est fabriquer,
« bricoler » au sens de Lévi-Strauss, des idées
collectivement. Il s’amusait beaucoup quand on évoquait son h-index* indicateur
qui lui semblait relever du domaine de
la pure plaisanterie.
Il écrit de nombreux articles, 145 dont deux inédits, dans des domaines variés : sur Wallon,
sur les institutions éducatives, le collège unique, le dessin du conte, les
conflits, la narration graphique, les compétences sociales, sociocognitives, la
fiction, l’anxiété chez l’enfant, l’autisme, l’imitation etc….
La plupart de ses travaux sont collectifs : étudiants,
collègues tels Foxonet, Petersen, Foulatier avec lequel il crée la revue
« Ici ». Mais c’est avec René Pry qu’il va développer une collaboration
assidue, fructueuse et amicale. Ils
cosignent pendant plus de 20 ans des articles, en particulier sur l’autisme, la
fiction et les images de fantaisie chez l’enfant d’âge préscolaire. André
empruntera à Henri Wallon le concept de fonction posturale et l’étendra au fonctionnement
autistique. Henri Wallon ne l’a jamais quitté. En 1971 il publie « Wallon
et le simulacre ». En 2005 : « Henri Wallon :
Frontières et traverses ».
Dans ses voyages
André aimait passer des frontières, même
limitrophes de la France comme l’Italie et son petit village de San Regolo au
milieu des vignes du Chianti où il se rendait avec sa famille depuis 17ans,
mais aussi dans ses réflexions et ses travaux. Avec René Pry il a dirigé un
recueil de textes intitulé : « Psychologies d’ici et
d’ailleurs » qui témoignait d’une activité à l’international. Il a abordé
des thématiques aussi différentes que la psychanalyse, le dessin, le jeu, le cinéma : « Henri Wallon et la filmologie ». Il a animé à Montpellier avec Monique Richard-Guillain
des rencontres entre psychanalystes, psychologues, plasticiens, poètes…Pas
question de s’enfermer à l’intérieur de frontières. Pas question de se
cantonner à un genre de films, à un style d’auteurs : de Lubitsch à Straub
et Huillet, des primitifs italiens à Matisse,
Rothko et Basquiat. André Guillain pas toujours facile à cerner, pas
toujours facile à pister, assez énigmatique.
La pédagogie de « prof à l’ancienne » comme le
qualifiaient ses étudiants consistait à transmettre, comme ce cours de philo
qu’il a travaillé avec sa petite-fille et rédigé, sachant qu’il allait mourir, pour son petit-fils de 14 ans, futur candidat au
baccalauréat. Sa pédagogie consistait à faire penser, à déstabiliser, « on avance
dans le déséquilibre » disait-il.
Beaucoup ont retenu de l’homme qui pouvait parfois être
irritant avec ses principes et ses valeurs, qui la correction du langage, qui l’honnêteté,
la droiture, qui une intelligence au
service de la réflexion, qui une très grande culture et un travail acharné. Son
apparence de calme que beaucoup ont souligné cachait une violence que lui-même
révélait, lorsqu’il citait avec une émotion retenue « son » film
« Johnny Guitar » et l’ordre de Vienna à Johnny, au moment où
celui-ci s’apprête à dégainer son colt pour tuer : « Sit down
Johnny ! ».
Mais surtout sa philosophie de liberté, de sagesse, son Ethique de vie, c’est à Baruch Spinoza qu’il les a empruntées,
ce philosophe qui l’a accompagné de son mémoire de DES jusqu’à sa terrible
maladie : une tumeur au cerveau qui
l’a empêché d’écrire, qui l’a privé de ses jambes et de la parole mais pas de
sa lucidité.
«L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est
une méditation non de la mort, mais de la vie»
*L’indice h (ou indice de Hirsch) est un indice essayant de
quantifier la productivité scientifique et l’impact d’un scientifique en
fonction du nombre de citations de ses
publications.
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